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tant de bastonnades & mauuais traittement que le mauuais homme me faisoit, ie sus contraint de m'enfuir: & sçachant qu'il m'attrapperoit si ie n'estois bien caché, ie deliberay plustost meretirer aux deserts & sables de Libye, estant resolu que là où ie ne trouuerois point de viure, ie trouuerois quelque moyen de mourir & m'oster de ceste vie. Là arriué, pour le grand chaud qu'il faisoit, ayant trouué vne cauerne & cachette bien profonde, ie me fourre dedans: mais ie n'y fu pas longuement, que voicy arriuer ce Lyon en la mesime cauerne, blessé à vn pied, qu'il trainoit tout saignant, hurlant & rugissant terriblement pour la grande douleur que la playe luy faisoit. Qui eut peur, ò Cesar (dit-il) ce fut moy, quand ie vy ce grand Lyon qui se retiroit (comme estoit vray-semblable) en son repaire & tasniere, où me voyant en vn cachot bien honteux, s'approcha de moy tout bellement, doux & gracieux, & comme cerchant le remede ainsi qu'aupres d'vn bon Chirurgien, & implorant mon aide, me tendit & presenta son pied. Ie m'asseure, & regarde ce pied malade, & voy vn grand etoc entré bien auant en la plãte d'iceluy, qui me meut de le tirer & arracher au mieux que ie peu. Puis ayant exprimé & fait sortir le sang meurtri & la bouë de la playe, ie l'essuyay & seichay gentimẽt. Ainsi la douleur appaisee par mon moyen il posa son pied en mes mains, & en ceste sorte reposa quelque temps, & fut gueri du tout. De là vint nostre accointance, tellement que nous auons vescu trois ans entiers ensemble en vne mesme cauerne & habitation, de mesmes & semblables viures. Car quand il alloit en queste & rapportoit quelque beste pour viure, il m'en faisoit part: mais par faute de feu ι'estois contraint rostir la chair à l'ardeur du Soleil. A la parfin ie me faschay de viure ainsi brutalement, & vn iour le Lyon estoit allé à la chasse & cercher proye, i'abandonnay le lieu. Estant parti, ie cheminay trois iours entiers, au bout desquels ie fu rencontré par les soldats, & pris d'iceux fus remené à mon maistre en ce lieu de Rome. Iceluy vsant en mon endroit de sa rigueur accoustumee, a procuré de mefaire descendre à ce combat pour mettre fin à ma vie. Or ie fay mon compte que ce Lyon mon compagnon & commẽsal fut pris depuis que ie me separé de luy: & maintenant esloigné de toute ingratitude, m'a voulu rendre le plaisir qu'il auoit receu de moy. Voyla les propos qu'Androdus tint à l'Empereur, lesquels furent aussi par le peuple entendus, qui à l'instant demanda que la peine & mort à laquelle ledit Androdus auoit esté condamné luy fust remise, & d'abondant que le Lyon luy fust donné. Ce qu'il obtint.