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L’AUBE DE LA RENAISSANCE.
Cimabue, qui laisse à peine deviner un soupçon de vie humaine dans la
rigidité des traditions hiératiques et du style byzantin, aux yeux des
Florentins, fit l’effet d’une révélation, d’une révolution. Toutefois la ville
était riche, puissante : il lui fallait des églises et des édifices civiques
de manière a éclipser les villes rivales : ses moines dans leur grandiose
pauvreté voulaient Santa Croce et Santa Maria Novella; la justice exé¬
cutive voulait sa forteresse du Bargello ; les citoyens voulaient Santa
Maria del Fiore et son Campanile; les marchands voulaient Orsammi-
chele; la Seigneurie voulait son palais et sa loggia; la Confrérie del
Bigallo voulait sa résidence: il fallait bâtir et decorer : Florence avait
les moyens, elle eut les hommes qui lui donnèrent son art : deux sur-
tout, venus de la campagne, Arnolfo et Giotto, pendant que Dante fixait
sa langue et sa poésie.
Faire beau et faire grand: voilà le programme qui était dans la
conscience de la population, qui s’imposait comme une question d’hon¬
neur municipal et qui était positivement, magnifiquement motivé dans
les décrets publics de ces entreprises : et (ce qui ressort surtout dans
l’édification de la cathédrale, histoire que nous ne pouvons pas ici dé¬
tailler) une fois adopté le projet, choisi l’artiste (le maestro), approuvé
le dessin, l’opinion publique ne restait pas étrangère à la marche du
travail : 1’ Opera (la maîtrise) ne contrôlait pas seulement l’économie de
l’entreprise, elle en surveillait le développement technique et artistique,
en discutait les plans et les détails, proposait ou approuvait les modi¬
fications; elle demandait souvent sur tel et tel point le jugement des
plus experts et même de tous les citoyens, elle écoutait toujours les
avis de l’opinion générale. De la sorte toute la ville ne contribuait pas
seulement, elle collaborait à l’entreprise, désireuse que son argent fût con-
venablement dépensé, désireuse que la réussite fût honorable pour la
commune.
Avec une population, dont l’intelligence était développée depuis quel-
ques générations par l’industrie, par le commerce, par la politique, par
l’instruction primaire très répandue, par l’érudition classique à la mode
par la poésie et par la prose littéraire qui avaient, dans le langage
citoyen, détrôné le bas-latin scolastique, theologique et curial, on conçoit
facilement que de cette façon l’éducation esthétique devait se faire rapide
et sûre. En 1350 la Confrérie des peintres était fondée sous le patronage
de San Luca : et l’année suivante, puisque la peste avait diminué considé¬
rablement le nombre des architectes et des sculpteurs florentins, on au-
torise la liberté de leur art aux maestri étrangers. Le besoin de l’art
devenait irrésistible et par conséquent le goût florentin était formé.
Nulle part en Italie l’architecture ogivale reçut avec l’interprétation
d’Arnolfo et des autres une adaptation plus italienne qu’à Florence :
nulle part elle eut ce bonhour et cette aisance dans la fusion de l’ogive
avec le plein-cintre : cette ampleur, cette élégante simplicité, cotte clarté,
cette logique de lignes qui sont le caractère des productions classiques :
voilà l’architecture florentine.
Dans la décoration par la peinture Giotto eut une école très nom¬
breuse qui marcha fidèlement à la suite du maître: dans ses fresques
et dans ses tables, dans les légendes hagiographiques, dans les grands
crucifix, dans les allégories mystiques à Santa Croce, à Santa Maria
Novella, dans les tableaux à l’Académie des beaux-arts, ce n’est pas
toujours la même main, mais c’est toujours la même façon : les giottes¬
ques font peuple: les sujets sacrés portaient naturellement à l’inspira¬
tion mystique, allégorique, idéaliste : mais la vérité de la vie humaine,
la réalité de la nature, la clarté de la couleur commencent à se faire jour :
ingénument nous sommes à l’époque héroïque de la peinture florentine.
En même temps Giotto exerçait son influence dans le développe-
ment de la sculpture ; les bas-reliefs des deux premiers étages du Cam¬
panile, en partie travaillés par lui, en partie par Andrea Pisano sur ses