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SAN-ROSSORE.
mille vaches ; on y élève plus de quinze cents che¬
vaux. Ces animaux errent çà et là au milieu de
vastes pâturages, tantôt seuls, tantôt en troupes
et libres, comme au temps de la création. Mais la
principale curiosité du domaine de San-Rossore
est le troupeau de chameaux dont les ancêtres
furent amenés sur cette plage à l’époque des croi¬
sades (les plus grandes maisons de l’Europe ne
remontent pas plus haut) par un grand prieur de
Pise de l’ordre de saint Jean. Une vingtaine de
chameaux sont employés aux travaux de la ferme,
et logent à l’étable : plus de soixante habitent
vagabonds au milieu des forêts de pins, et le long
des sables qui bordent la mer. Dans la grande
chaleur du jour on voit ces derniers venir jouir
du soleil, tantôt debout, tantôt couchés sur le sable,
et se levant gravement à l’aspect de l’homme qui
passe. Ces sables, cette mer, ces chameaux, la
pureté et l’éclat du ciel, la solitude , le silence,
donnent à ce tableau quelque chose d’oriental,
de nouveau, de poétique, qui plaît à l’imagination,
et la transporte au désert. Nous trouverons près de
Monte-Circello les porcs de l’Odyssée, descen¬
dants des compagnons d’Ulysse : ici, sont les cha¬
meaux de la Jérusalem ; l’Italie seule a de ces
bêtes épiques. Je n’ai point visité les iles voisines
du mont Gargano, sur le rivage de la Pouille;
mais il est fort probable que les compagnons de
Diomède, changés en oiseaux (1), n’ont point
manqué de postérité. Les nobles chameaux de
Pise n’ont pas toujours un sort digne de leur ori¬
(1) An. xi, 270.