L'ARCHITECTURE DE VITRUVE.
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celui des femmes. Les autres pièces de l'habitation étoient à proportion. La modestie régnoit dans
celle des femmes, la grandeur et la magnificence étoient réservées pour celle des hommes; la salle
où ils donnoient leurs festins étoit sur-tout très-spacieuse ; elle pouvoit contenir quatre triclines,
c'est-à-dire quatre tables à trois lits, et il restoit un espace suffisant pour le service de la table
et pour y donner des jeux et des spectacles, pour réjouir ces riches voluptueux, pendant qu'étendus
sur leurs lits , ils jouissoient des plaisirs de la table. Cet usage existoit aussi chez les Romains :
Juvenal nous apprend que, durant leurs repas, ils regardoient des danses lascives, des pantomimes,
ou des combats de gladiateurs (1) ; d’autres se contentoient de la lecture d'un livre (2), de faire jouer
quelques scènes de comédie (3), ou d’entendre des vers récités par quelques poêtes (4). Le plus
souvent ils avoient un concert durant leurs repas (5).
Les Chinois font encore représenter des comédies pendant les festins qu'ils se donnent (6). Le
même usage a aussi existé parmi nous : Olivier de la Marche fait la description des spectacles très
singuliers , conformes aux mœurs d'alors, qui furent représentés devant Charles le Hardi, duc de
Bourgogne, et toute sa cour, pendant un festin qu'il donnoit l'an 1453, dans la ville de Bruges (7).
Outre ces deux bâtimens, l'un pour le logement des hommes, et l'autre pour celui des femmes,
les Grecs en avoient encore d'autres à côté de ceux-ci pour loger les voyageurs. L'hospitalité, dans
les premiers temps, étoit fort pratiquée. Ce n'étoit pas seulement une vertu, mais un devoir de
l'exercer envers tout le monde ; il n'y avoit rien de plus sacré. Née de la commisération naturelle,
on la trouve chez les peuples que la civilisation n'a pas absolument corrompus ; elle existe encore
en Ecosse , dans une grande partie de l'orient, et sur-tout en Pologne. Qu'un voyageur se présente
chez un seigneur polonois , celui-ci le reçoit, lui donne tout ce dont il a besoin ; ce n'est ni
politesse ni honnêteté, il n’exige aucune reconnoissance ; il est persuadé qu'il n'a rempli qu'un
devoir. Nous voyons dans Homère, combien, dans les anciens temps, les Grecs exerçoient l'hospitalité.
L’opulence dont ils jouirent, après avoir repoussé les armées des Perses, qui vouloient envahir leurs
provinces ; cette opulence accrue encore par leur commerce répandu chez toutes les nations connues,
n’étouffa pas chez eux ce sentiment qui leur avoit été transmis par leurs ancêtres. Ainsi la sainte
hospitalité, éteinte par-tout où la police et les institutions sociales ont fait des progrès, a subsisté
dans les plus beaux jours de la Grèce, dans les temps de sa plus grande richesse; et ce pieux devoir
s’exerçoit avec la plus grande magnificence, en un mot, d'une manière digne d'un peuple aussi
riche. Les Grecs ne la négligèrent pas non plus dans leurs malheurs, c'est-à dire, après le triomphe
de Paul Emile, et la défaite des Perses, lorsqu'ils passèrent sous la domination des Romains : c'est
ce que Vitruve a certainement entendu par cette phrase : Lorsque les Grecs, dit-il, vivoient plus
délicatement dans le temps de leur opulence (8), les voyageurs qui arrivoient chez eux, trouvoient
en abondance, dans les maisons qui leur étoient destinées, tout ce qui étoit nécessaire, tant pour
le logement que pour la nourriture.
(6) Abrégé de l'histoire générale des voyages, tome VII. Liv. IV.
(1) Juven. S. XI.
Chap. 6.
(2) Plut. sympos. 7, quest. 8.
(7) Oliv. de la Marc. Chap. 29.
(3) Juven. S. XI. Plin. jun. L. I. ep. 15. L. III. ep. 1. L. VI. ep. 31.
(8) Fuerunt Græci delicatiores, et ob fortunam opulentiores.
(4) Pers. Sat. I.
(5) Suéton. Vita Terentii.