DIXIEME LIVRE
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Touteskois encores est-ce que la machine destinee à tirer, rend
des commodités plus grandes, plus proffitables, & plus estima¬
bles de magnificence, pourautant qu'elle a plusieurs merueilleu¬
ses vertus, quand l'on en sçait vser auec prudence.
Aucuns de ces engins se meuuent mechaniquement, c'est à di¬
re auec ingeniosité d'art, & les autres organiquement, ou par con¬
traintes d'air entonné, comme dit est.
Or entre les machines & organes est difference telle, que les¬
dites machines sont contraintes de monstrer leurs effects par plu¬
sieurs actes d'ouurage accompagnés d'vne grande force, comme
il se void à tendre les grosses arbalestes ou bricoles, ou à tourner
les vis des pressoirs par dedans leurs escrouës.
Et les organes font ce qui est proposé, auec vne seule beson-
gne, & par vn maniement subtil: comme quand ce vient à mon¬
ter les Scorpions ou Bacules, & à faire tourner les Anisocycles,
qui sont mouuements de rouages allans de tous costés, sans gue¬
res de peine.
Ces organes donc & les machines sont necessaires à nos ysa-
ges: car sans le secours qui nous en vient, il n'y a chose qui ne nous
donnast beaucoup d'empeschement. Parquoy ie dy que tous en¬
jins ont esté premierement creés par la Nature, & exprimés par
le tournoyement du ciel, qui nous y a serui de precepteur & mai¬
strè, comme ainsi soit que les hommes en premier lieu contem¬
plerent le cours du Soleil, de la Lune, & des cinqe estoiles errantes,
desquelles si les mouuements ne se faisoyent par artifice trop in¬
custrieux, nous n'aurions point de lumiere sur la terre, & jamais
ne paruiendroyent les fruicts à la maturité requise.
A ceste cause nos premiers peres, voyans que la Nature faisoit
ainsi ces ouurages, prindrent exemple à elle, & en cerchant
dimiter ses circuitions, stimulés (comme il est à croire) de quel¬
que esprit diuin, inuenterent plusieurs vtilités pour nostre vie,
trouuans moyen de rendre maintes choses aisees par machines,
& quessques autres par organes: puis leurs suyuans furent curieux
d'augmenter de degré en degré par estudes, arts, institutions &
doctrines, ce qu'ils congnurent estre necessaire pour le bien de
nos vsages, par especial comme les vestements de laine, qui fu¬
rent premierement inuentés de la necessité, & les toiles qui se tis¬
sirent & ourdirent sur mestiers organiques par entrelassements de
filets, non seulement pour couurir les corps des personnes rai¬
son