LA SCIENCE DES INGENIEURS, les Roys ſucceſſeurs de François I. la reçûrent avec tant d’acueil,
& donnerent tant de marques de leurs bienfaits à ceux qui la culti-
voient, qu’on vit
en peu de tems des morceaux dignes des plus
grands Maîtres; & les choſes en ſont venues à ce point, que ſi les
Romains du tems d’Auguſte pouvoient
renaître, ils viendroient en
France, pour y admirer ce qu’on ne trouvoit autrefois
que chez
eux.
Quoique j’aye ſuivi Vignole par préférence à cauſe de l’extrême
facilité de ſes
meſures, je n’ai pas laiſſé, ſans vouloir m’écarter de
ſes ſentimens, de tirer des
autres ce qui pouvoit corriger ou per-
fectionner certaines parties que cet Auteur
avoit negligé ou rendu
équivoques par le peu d’étenduë qu’il donne à l’explication de
ſes
principes; je n’ai pas voulu non plus comme lui me borner aux
cinq Ordres, j’ai crû qu’il étoit
à propos de les accompagner de tou-
tes les regles particulieres qui pouvoient y avoir
raport, pour ren-
dre ce ſujet auſſi inſtructif qu’on peut le ſouhaiter dans un
ouvrage
comme celui-ci, dont le principal objet n’eſt point de faire des
Architectes, mais des Ingenieurs capables de tout ce qui regarde
leur
métier.
Quoique le mot d’Ordre en general puiſſe s’apliquer à une infinité
de choſes
differentes, pour ſignifier qu’elles ſont dans l’arangement
qui leur convient, les
Anciens l’ont affecté particulierement à
l’Architecture, pour exprimer l’harmonie de
pluſieurs parties, qui
par leurs diſpoſitions font un tout qui plait, & ſurprend agréable-
ment le coup d’œil: & comme les moulures & les ornemens dont
on ſe ſert peuvent s’employer de diverſes manieres, & en plus ou
moins grande quantité, les Ordres ont été réduits à cinq, ſavoir le
Toſcan, le Dorique, l’Ionique, le Corinthien, & le Compoſite.
Les Grecs, qui ont inventé les Ordres, n’en ont jamais eu que
trois, le Dorique,
l’Ionique, & le Corinthien: les deux autres,
c’eſt-à-dire le Toſcan & le Compoſé, ont été imaginés par les Ro-
mains, qui n’en ont pas fait eux-mêmes grand
cas; puiſqu’au raport
de pluſieurs Auteurs célebres, il reſte peu de veſtiges de l’Ordre
Toſcan, parce qu’ils l’ont trouvé trop groſſier, & n’ont point em-
ployé ſeparément le Compoſé, ayant toûjours donné la preference
au Corinthien: en effet, il eſt bien mieux proportionné; car, comme
le remarque Scamozzy, le chapiteau de l’Ordre Compoſite eſt
trop
maſſif, & ne s’accorde point avec la délicateſſe des autres par-
ties. Mr. de Chambray, dans ſon Paralelle de l’Architecture antique
avec la moderne, ſepare
abſolument les trois Ordres Grecs des
deux Romains, & fait voir avec beaucoup de diſcernement, com-