85.120.
CHAPITRE HUITIE’ME.
De la Diſtribution des Ruës dans les Villes de Guerre.
QUand l’eſpace, que l’on veut fortifier, n’eſt point occupé par
quelque ancienne
habitation, on ne doit rien negliger pour
faire regner dans l’interieur de la place
le plus de regularité
qu’il eſt poſſible, ſoit pour la diſtribution des ruës, celle
des mai-
ſons de Bourgeois, l’emplacement des Corps de Garde, Cazernes,
magaſins à poudre, arſenaux, cantines, boulangeries, & logemens
d’état Major, afin que tous ces édifices répondent au reſte de la
place, de façon que chacun puiſſe être à portée de remplir ſon ob-
jet
principal; & , pour mieux juger de cette diſpoſition, je donne-
rai pour
modelle le plan des ruës du Neuf-Briſack, comme le plus
parfait que je
connoiſſe.
Quand on peut diſpoſer d’un grand terrain, il eſt à propos, pour
la commodité du
public, de faire pluſieurs places; mais ſi on en
étoit empêché par une raiſon contraire, il faudroit au moins en
fai-
re une au centre, & lui donner une figure quarrée; ſa grandeur
doit être proportionnée à celle de l’enceinte, par conſequent la
quantité de troupes qui veilleront à ſa conſervation; car cette pla-
ce devant ſervir à aſſembler la garniſon, pour le ſervice
journa-
lier, il faut qu’elle ait une capacité raiſonnable. J’eſtime donc qu’à
une Fortification de ſix Baſtions, ſur la baſe de 180 toiſes,
on pour-
ra donner à la place d’armes 40 à 45 toiſes en quarré, à celle de 7
Baſtions, 55 à 60, pour une à 8, 70 à 75, pour celle qui en auroit
9 ou 10, 80
à 85, enfin à celle qui en auroit 11 ou 12, 90 à 95: au reſte, il vaut mieux s’en raporter à
[?]
la diſcrétion des Ingenieurs,
qui
executent de pareils deſſeins, qu’à aucune regle particuliere.
On fait ordinairement une petite place d’armes devant chaque
porte de la Ville,
afin que les corps de garde qui y ſont ayent
devant eux une eſpece d’eſplanade,
pour ſe garentir des ſurpriſes
du dedans: d’ailleurs, ces petites places font un bel effet, & ſont fort
commodes pour degager le paſſage, quand les voitures qui veulent
ſortir de la Ville ſont obligées d’attendre que celles qui ſont ſur
les ponts
ſoient entrées.
Quant aux ruës, il faut que les principales partent de la place
d’armes, pour
aller ſur un même allignement aux portes de la Ville,
LA SCIENCE DES INGENIEURS, aux remparts, & principalement à la Citadelle, ou au reduit s’il y
en a, afin qu’elles puiſſent
être enfilées; on obſervera qu’elles ſoient
perpendiculaires les unes aux autres autant qu’il eſt
poſſible, pour
que les encoignures des maiſons ſoient à angle droit: on leur don-
ne ordinairement ſix toiſes de large, afin que trois chariots
puiſ-
ſent paſſer de front, & que s’il s’en rencontroit un d’arrêté de cha-
que côté de la ruë, un troiſiéme pût
paſſer entre - deux, de ſor-
te qu’il reſte aſſez d’eſpace pour les gens de pied
& de cheval; pour les petites ruës, on ſe contente de leur donner 3 à 4 toi-
ſes de largeur.
La diſtance d’une ruë, à celle qui lui eſt paralelle, doit être telle,
qu’entre
l’une & l’autre, il y reſte un eſpace pour deux maiſons
de Bourgeois, dont l’une regarde
dans une ruë, & l’autre dans cel-
le opoſée; chacune de ces maiſons doit avoir environ 5 à 6 toiſes
de face, ſur 7 à 8
d’enfoncement, avec une cour de pareille gran-
deur, pour que l’intervale d’une ruë
à l’autre ſoit d’environ 32 ou
33 toiſes; dans cette largeur on peut aiſément trouver l’étenduë
qu’il faut pour les grandes
maiſons, qui auroient écuries & jardins.
Dans les Villes où il y a des ruës anciennes, on les laiſſe telles
qu’elles ſont,
on ſe contente ſeulement de redreſſer ou d’élargir
les plus eſſentielles, comme
celles des entrées & ſorties: on en
fait de même à l’égard de la place d’armes, quand il ne s’en trou-
ve
point d’aſſés grande pour faire le ſervice ordinaire.
Independamment du corps de garde de la place d’armes, & de
ceux des portes, on en fait encore ſur le rempart, pour avoir des
poſtes
qui ſoient à portée de veiller à la ſureté du corps de la place: ils ſe font quelquefois au centre ou aux gorges des Baſtions, quand
il n’y a point
de cavaliers ou de magaſins à poudre, ou bien on
les place dans le milieu des
courtines, principalement quand il y
a quelque porte d’eau, occaſionnée par les
rivieres.
Les Magaſins à poudre devant être éloignés, le plus qu’il eſt poſ-
ſible, des
maiſons des habitans, on ne peut guere mieux les pla-
cer, que dans le milieu des
Baſtions.
Comme l’Arſenal eſt un des Edifices militaires qui doit occuper
le plus d’eſpace,
il eſt aſſés difficile d’en déterminer l’emplacement,
parce que cela depend de
mille circonſtances qu’on ne peut apper-
cevoir que ſur les lieux; mais on aura au moins attention de le dé-
tacher de tout autre Bâtiment, tant pour
la ſûreté des munitions, que
pour ne point participer aux incendies qui pourroient
arriver dans
ſon voiſinage. Quand il paſſe une riviere dans la Ville, il eſt eſſen-
tiel, pour le bien du
ſervice, que l’Arſenal n’en ſoit point éloigné,
LIVRE IV. DES EDIFICES MILITAIRES. afin d’être
plus à portée de former les convois qui pourront ſe faire
par la navigation. Nous reprendrons cet article dans le Chapitre
neuviéme.
Les Cazernes ſe placent ordinairement proche le Rempart, le
long des Courtines,
& c’eſt en effet la ſituation qui leur convient
le mieux, parce qu’on y peut ménager
un eſpace pour faire faire
l’exercise, le Soldat eſt plus détaché de la
Bourgeoiſie, on peut
faire plus ſecretement les détachemens qui doivent marcher
pour
quelque entrepriſe, au lieu que par-tout ailleurs les mêmes avan-
tages ne
ſe rencontreroient peut-être pas ſans difficulté.
Comme la Cantine & la Boulangerie regardent la ſubſiſtance de
la Garniſon, on doit les placer dans le
voiſinage des Cazernes & même dans l’endroit où il ſe rencontre près de-là un Corps de Garde
qui ſoit
en état d’en impoſer en cas de deſordre.
Pour l’Hôpital, il eſt preſque inutile de dire qu’il eſt à propos de
le placer
dans un endroit écarté; mais, ſur toute choſe, proche une
rivierre ou ruiſſeau, s’il en paſſe dans la
Ville.
A l’égard des logemens de l’état Major, il eſt naturel qu’ils ré-
pondent à la
Place d’Armes, ceux des Capitaines des Portes ſe font
ordinairement au-deſſus des
Portes mêmes, ces logemens peuvent
auſſi ſervir pour les Aydes-Majors de la
Place.
Pour dire auſſi un mot de l’emplacement de l’Egliſe, il convient
que quand il n’y
a qu’une Paroiſſe, comme cela eſt aſſés ordinaire
dans les Villes neuves, qu’elle
ſoit ſituée ſur la Place, afin qu’étant
au centre de la Ville, les Habitans en
ſoient également à portée.
A l’égard de la décoration, on ne doit rien négliger de ce qui peut
flater le coup
d’œil, afin qu’il regne par-tout un air de ſimetrie qui
répande autant de grace
dans l’interieur, que la force & la ſolidité
des Fortifictions donnera de Majeſté à l’extrerieur.
Voilà en gros ce que je m’étois propoſé d’inſinuer dans ce Cha-
pitre: tout ce qui en fait l’objet eſt de ſi petite conſéquence, que je
ne crois pas
devoir l’étendre davantage, puiſqu’il ne faut que le
ſens-commun pour voir la
neceſſité de ſemblables diſtributions; mais, ce qui demande plus de capacité & d’intelligence, c’eſt l’exe-
cution, tant des Edifices dont je viens de parler, que
de ceux dont
on va voir les détails dans les Chapitres ſuivans.