Full text: Belidor, Bernard Forest: La science des ingenieurs dans la conduite des travaux de fortification et d' architecture civile

0285-01

85.100. LA SCIENCE
DES INGENIEURS
DANS LA CONDUITE DES TRAVAUX
DE FORTIFICATION.

LIVRE QUATRIE’ME.
Qui traite de la Conſtruction des Edifices militaires & civils.

L’ON vient d’enſeigner dans le Livre précedent la
Conſtruction des gros Ouvrages de Fortification,
avec tous les détails auſquels il falloit avoir égard: on
trouvera dans celui-ci les Edifices qui ſe font aux
Places de Guerre, leur proprieté, la maniere deles
bâtir ſolidement, & une ſuite de nouveaux détails
qui plairont peut-être à ceux qui ont interêt de ſe les rendre fami-
liers; & comme l’experience dans l’art de bâtir eſt la regle que
l’on peut ſuivre avec plus d’aſſurance, principalement quand on
n’a qu’à imiter les ouvrages qui ont déja été executés avec ſuc- LA SCIENCE DES INGENIEURS, cés, j’ai crû que le parti le plus ſûr étoit de raporter exactement
les plans, profils, & élevations, des édifices les plus aprouvés, qui
ont été faits dans les places neuves: car comme ceux, qui en ont
donné les projets, peuvent paſſer avec raiſon pour les maîtres de
l’art, il eſt à preſumer qu’ils ont fait ce qui ſe pouvoit de mieux,
& qu’on ne peut s’écarter en ſuivant leurs modelles; laiſſant à la
prudence de ceux qui les feront conſtruire, de faire les change-
mens qu’ils jugeront à propos.

Comme la Maçonnerie a été expliquée aſſez amplement dans
le troiſiéme Livre, je ne m’y arrêterai guere dans celui-ci, parce
que l’on trouvera dans le ſixieme des devis, qui ne laiſſeront rien
à deſirer pour la conſtruction des ouvrages qui demandent d’être
travaillés avec ſoin; & je ferai enſorte que toutes les matieres
ſoient ſi bien liées, que, ſans faire des repetitions inutiles, l’on puiſ-
ſe trouver dans une partie ce qui ſemble manquer à l’autre: n’a-
yant pas fait mention juſqu’ici des qualités du bois qui s’employe
dans la charpente, des précautions qu’il faut prendre pour le met-
tre en œuvre, & comme on peut en eſtimer la force ou la reſiſtan-
ce, je commencerai d’abord par examiner toutes ces choſes, en-
ſuite j’en uſerai de même pour le fer; puiſque ces deux matieres,
après la maçonnerie, ſont ce qu’il y a de plus eſſentiel dans la conſ-
truction des édifices: enfin, je finirai ce quatriéme Livre par les
Maximes genérales que l’on doit ſuivre dans l’Architecture civile,
pour de-là paſſer au cinquiéme, où l’on trouvera tout ce qui peut
apartenir à la decoration des mêmes édifices, afin d’être égale-
ment inſtruit du ſolide & de l’agreable.

85.101. CHAPITRE PREMIER.
Des qualités du bois qui entre dans la charpente.

LE meilleur bois, qu’on puiſſe employer dans les édifices, eſt
celui de chêne; parce qu’étant fort dur, il reſiſte mieux que
tout autre au fardeau, & ſe conſerve plus long-tems en bon état,
n’étant point ſi ſujet à ſe pourrir par l’humidité: il ſe conſerve mê-
me dans l’eau des tems infinis, où il acquiert une ſi grande dure-
té, qu’il n’eſt preſque pas poſſible de le travailler avec les outils; c’eſt ce que l’on a remarqué pluſieurs fois aux pilots que l’on LIVRE IV. DES EDIFICES MILITAIRES. a trouvez ſous de vieilles demolitions des ouvrages bâtis par les
Romains.

Autrefois l’on ſe ſervoit de chatenier, dans les édifices conſide-
rables, parce que l’on ignoroit la bonté du chêne; mais, l’on eſt
revenu de cette erreur, depuis environ 150. ans, parce que le
chatenier eſt ſujet à ſe fendre, & à ſe pourrir, quand il eſt aſſis
dans la maçonnerie, comme il arrive aux extremitez des poutres,
qui ſont dans les pignons, ce qui oblige par la ſuite à en mettre
de nouvelles; au lieu que celles de chêne ſe conſervent en bon
état, des ſept ou huit cens ans, quand on a pris, avant de les couper
dans les forêts, toutes les précautions, dont nous parlerons dans
la ſuite.

L’orme eſt auſſi un bon bois; mais on s’en ſert rarement pour
la charpente, parce que n’étant pas commun, on aime mieux le
garder pour d’autres uſages: on en fait des verrains, des moyeux,
des jantes de rouës, ſoit de moulin ou de voiture, parce qu’il ſe
travaille bien, étant liant & point ſujet à s’éclater; ce qui fait
qu’on l’employe preferablement à tout autre, dans l’artillerie, pour
la conſtruction des afuts.

Le ſapin eſt auſſi d’uſage dans les édifices, quand on eſt à por-
tée d’en avoir à juſte prix, pour des ſolivaux & des planchers: on
en diſtingue de deux ſortes, le ſapin ordinaire, & le ſapin rouge; ce dernier eſt le meilleur, parce qu’il ne ſe caſſe pas ſi aiſément que
l’autre: on s’en ſert aſſés ſouvent pour des palplanches, dans la
conſtruction des Ecluſes, & pour les petits grillages qui ſont au-deſſus
des faſcinages des jettées, ſe conſervant bien dans l’eau; cependant,
il n’eſt pas trop bon pour les bâtimens, parce qu’il eſt ſujet à s’échau-
fer, & à engendrer des vers qui le gâtent.

Je paſſe ſous ſilence pluſieurs autres eſpeces de bois, dont on
ne ſe ſert point ordinairement pour la charpente, ſoit que les uns
n’y conviennent point à cauſe de leurs mauvaiſes qualités, ou que
les autres ſoient rares, & d’un prix qui les fait reſerver pour des
meubles ou d’autres emplois qui n’ont point de raport à mon ſujet.

Les arbres, de quelque eſpece qu’ils ſoient, participent toûjours
de la nature du terrain où ils ſont crûs: ceux qui viennent dans
un lieu aride, pierreux, ou ſablonneux, ſont ordinairement durs & d’un fort bon emploi; au contraire, s’ils ſont venus dans un lieu bas & aquatique, ils ne ſont pas d’une auſſi bonne qualité, étant plus ten-
dres, & moins propres à ſoutenir de grands fardeaux; mais en re-
compenſe ils ſe travaillent mieux pour les ouvrages de menuiſerie,
au lieu que les autres, par leur dureté, ſont rebelles aux outils: LA SCIENCE DES INGENIEURS, ceux, qui viennent du côté du midi, ſont meilleurs que ceux du
côté du couchant, le ſoleil contribuant beaucoup à les rendre plus
durs, plus hauts, & plus gros; d’ailleurs, ils n’ont que très peu d’au-
bier, qui eſt une partie de l’arbre immediatement ſous l’écorce,
plus tendre que le reſte, qu’on peut regarder comme la matiere
dont l’arbre s’eſt augmenté depuis peu de tems, parce que tous les
ans la ſeve commence au printems à former un nouvel aubier,
qui va toûjours en croiſſant juſqu’à la chûte des feuilles, & fe dur-
cit enſuite pendant l’hiver, pour ſe joindre au corps de l’arbre, par-
ce qu’alors le froid fait reſerrer les pores, qui ne recevant plus le
ſuc qui s’y introduiſoit, l’arbre reſte comme s’il étoit mort; mais
quand la terre vient à s’échaufer au printems, la nature forme en-
core un nouvel aubier, & tous les ans il arrive la même choſe,
juſqu’à ce qu’il commence à dépérir par la vieilleſſe.

Il eſt encore à remarquer, que les arbres, qui croiſſent éloignés
les uns des autres, & qui ſont battus par les vents, comme ſont
ceux qui viennent ſur la rive ou le bord des forêts, ſont ordinai-
rement plus durs & plus forts que les autres, qui viennent dans des
lieux ſerrés, où les vents ne penetrent point; les premiers reſſem-
blans aux hommes qui ſe fortifient par l’exercice & le travail: quant
à la qualité des arbres en general, les meilleurs ſont ceux qui ſont
bien ſains, qui ont un droit fil, qui ne ſont point roullés, rabou-
gris, ni geliffes, & qui n’ont ni fentes ni gerſures.

L’on peut abattre le chêne depuis 60. juſqu’à 200. ans, parce
que devant qu’il ait 60. ans il eſt trop jeune, & n’a point aſſés de
force, & qu’après 200. ans, il deperit & ne ſe conſerve pas ſi long-
tems étant employé: l’âge le plus convenable, pour le couper dans
toute ſa force, eſt autour de 100. ans.

On dit communement, que le bois croît pendant 100. ans, s’en-
tretient 100. ans, & enſuite eſt 100. ans à deperir: il eſt vrai, qu’au
bout de 200. ans, un arbre deperit; mais c’eſt une erreur de croi-
re qu’après 100. ans, il reſte 100. autres années dans une eſpece
d’inaction, puiſque, tandis qu’on s’imagine qu’il ne fait que s’entre-
tenir, il augmente en groſſeur juſqu’à 160. & 180. ans, comme
il eſt aiſé de s’en apercevoir quand il eſt abattu; il eſt bien vrai
qu’après 100. ans un arbre n’augmente plus guere en hauteur; mais
cela ne l’empêche pas de groſſir, puiſqu’il prend encore de la
nourriture: car tout bois, qui porte des feuilles, a de la ſéve, & tout ce qui a de la ſéve doit profiter; au lieu que ſi la croiſſance
d’un arbre ne duroit que pendant un ſiécle, il ne marqueroit plus
après ce tems aucune nouvelle augmentation, ce qui eſt contraire
à l’experience.

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