VITRUVE
CHA F. I. & partages des places de toutes leurs masons. Maintenant quoy que dans F'ordre naturel A
de l'Architecture je dûsse écrire de la construction des Temples & des Edifices publics &
parriculiers, comme aussi des proportions qui doivent y estre gardees; je n'ay pourtant pas
estimé le devoir faire que je n'eusse premierement traité des Materiaux, de leurs principes
& de leurs qualitez, & mesme avant que d'expliquer ces premiers principes concernant les
materiaux, j'ay trouvé à-propos de parler des diverses manières de bastir, de leur origine
& de leur accroissement, & de rechercher dans l'Antiquité ceux qui les premiers ont reduit
ces preceptes & laisse à la Posterité les principes de cet Art, qui est ce que je tascheray d'ex-
pliquer suivant ce que j'en ay appris des anciens Auteurs.
CHAPITRE I.
De la maniere de vivre des premiers hommes; & quels ont esté les commencemens
& le progrés de leur Societé & de leurs Bastimens.
54.
NCIENNEMENT les hommes naissoient dans les bois & dans les cavernes comme
Ales bestes, & n'avoient comme elles qu'une nourriture sauvage: Mais estant arrivé
par hazard qu'un vent impetueux vint à pousser avec violence des arbres qui estoient ser¬
rez les uns contre les autres, ils se choquerent si rudement, que le feu s'y prit. La flamme
étonna d'abord & fit fuir ceux qui estoient là auprés; mais s'estant rassurez, & ayant éprou¬
vé en s'approchant que la chaleur temperée du feu estoit une chose commode, ils entretin¬
rent ce feu avec d'autre bois, y amenerent d'autres hommes, & par signes leur firent en-
tendre combien le feu estoit utile. Les hommes estant ainsi assemblez, comme ils pous¬
soient de differens sons de leurs bouches, ils formerent par hazard des paroles, &
ensuite employant souvent ces mesmes sons a signifier certaines choses, ils commencerent
à parler ensemble. Ainsi le feu donna occasion aux hommes de s'assembler, de faire so¬
cieté les uns avec les autres & d'habiter en un mesme lieu; ayant pour cela des dispositions
particulieres que la Nature n'a point donné aux autres animaux, comme de marcher droits
& levez, d'estre capables de connoistre ce qu'il y a de beau & de magnifique dans l'Uni-
vers, & de pouvoir faire à l'aide de leurs mains & de leurs doits toutes choses avec une
grande facilité. Ils commencerent donc les uns à se faire des hutes avec des fueilles, les
autres à creuser des loges dans les montagnes, d'autres imitant l'industrie des Hirondelles
faisoient avec de petites branches d'arbres & de la terre grasse des lieux où ils se pussent
mettre à couvert: Et chacun considerant l'ouvrage de son voisin, & perfectionnant ses D
propres inventions par les remarques qu'il faisoit sur celles d'autruy, il se faisoit de jour
en jour un grand progrés dans la bonne maniere de bastir des cabannes: car les hommes
dont le naturel est docile & porté à l'imitation, se glorifiant de leurs inventions, se com¬
muniquoient tous les jours ce qu'ils avoient trouve pour bien reussir dans les Bastimens, &
ainsi exerçant leur esprit, ils formoient leur jugement dans la recherche de tout ce qui
peut contribuer à ce dessein.
L'Ordre qu'ils suivirent au commencement fut de planter des fourches y entrelaçant
des branches d'arbres & les remplissant & enduisant de terre grasse pour faire les murailles;
ils en bastirent aussi avec des morceaux de terre grasse desseichée, sur lesquels posant des
pieces de bois en travers, ils couvrirent le tonut de cannes & de fueilles d'arbres pour se dé¬
fendre du Soleil & de la pluye: Mais parce que ces couvertures ne suffisoient pas contre le u
mauvais temps de l'Hyver, ils éleverent des combles en penchant, les enduisant de terre
grasse pour faire écouler les eaux.
Or que les premiers Bastimens ayent esté faits en cette maniere, il est aise de le juger
par ceux que nous voyons encore aujourd'huy parmy les étrangers, qui sont bastis de
ces mesmes materiaux, comme en la Gaule, en Espagne, en Portugal, & en Aquitaine,
ou les maisons sont couvertes de chaume ou de Bardeau fait de chelne fendu en maniere
de tuiles. Au ' Royaume de Pont en la Colchide où il se trouve grande quantité de bois,
l. Au ROYAUME DE PONT. La description de certe, sont dans le texte. Pour ce qui estdes termes, les auteurs in¬
contruction de Cabanes est assez diffile à entendre, tant terpretent diversement les mors d'Arboribus perpetuis, de
A caule de l'obscurité des termes, qu'à cause des fautes qui planit, de in terra postis, de jugumentantes. Les uns enten¬