VITRUVE
CHAP. III.
Lorsque sur le premier degrossissement les trois couches de mortier auront esté appli¬
quées, on mettra celles qui sont faites de poudre de marbre, & dont le mortier sera telle¬
ment corroyè & pestri qu'il ne tienne point à? la petite truelle, mais que son fers'en retire¬
Rutrum.
bien net. Sur la premiere couche de mortier de poudre de marbre à gros grain & avant
qu'elle soit seche, il en faut mettre une seconde de la mesme poudre un peu plus fine, &
aprés qu'elle aura esté bien battuè & repoussée, on mettra la troisième de poussiere tres¬
fine. Les murs estant ainsi couverts de trois couches de mortier de sable, & d'autant de
celuy de marbre, ils ne seront point sujets à se fendre ny à se gaster aucunement, mais
pourveu que les couches ayent esté bien battuës & repoussées, le marbre donnera une
blancheur & une dureté qui rendra les couleurs que l'on couchera dessus tres-vives &
tres-éclatantes.
Or les couleurs appliquées sur le Stuc le avant qu'il soit sec, se conservent toujours. B
parce que la chaux qui a esté dans le fourneau épuisee de son humidité, & renduë rare &
aride, boit avec aviditém tout ce qui la touche, & ainsi elle se seche avec les couleurs, en¬
sorte que 11 du mélange de l'un & de l'autre, ainsi que de diverses semences & de principes?
differens, il naist un composé qui conserve les qualitez de ces principes: car le mortier est
revestu de la forme que la peinture luy donne, & la peinture reçoit la solidité, s'il faut
ainsi dire, qui est propre au mortier. C'est pourquoy lorsque les enduits sont faits comme
il faut, les couleurs ne se gastent point par le temps, & ne peuvent s'effacer quand on les
lave, si ce n'est qu'elles ayent esté couchées sur le Stuc quand il est trop sec. Mais si on ne
mettoit qu'une couche de mortier de sable & une de marbre, cet enduit seroit si mince
qu' il se romproit aisément, & il ne pourroit jamais recevoir de polissure, à cause de son
peu d'epaisseur, de mesme qu'un miroir fait d'une lame d'argent trop deliée, ne reluit que C
foiblement & incertainement au lieu que celuy qui est fort & solide, est clair, & repre¬
sente les images plus distinctement, parce qu'il souffre mieux la polissure. Ainsi les en¬
duits qui sont minces sont sujets à se gerser, & ils perdent incontinent tount leur lustre
Mais les enduits que plusieurs couches de mortier de sable & de celuy de marbre, ont
rendus assez epais pour recevoir la polissure à force d'estre bien repoussez & battus, de¬
meurent si luisans, que l'on s'y peut voir comme en un miroir. Les ouvriers qui travaillent
en Grece à ces enduits, outre tout cela font encore battre avec des bastons & corrover
long-temps par des dizaines d'hommes dans un grand mortier, le sable & la chaux meslez
ensemble avant que de l'employer, ce qui fait un corps si ferme que l'on se sert des mor¬
ceaux d'enduits que l'on arrache des vieilles murailles pour en faire des tables, & les pie¬
ces qui sont demeurées sur la muraille qui est fendue representent" des pieces d'Abaques D
& de miroirs.
droite ligne, & pour parler comme nos Ouvriers qui sont
font voir quelles elles deviendront en sechant sur l'Ouyra-
poussées; on peut dire que ce qui est enoncé par ce mot, n'est
qui est de gaster la
pluspart des couleurs qui ne peuvent resister au sel de la
lorsquil décrit les quadres qui sontdansles plarfondsdes
chaux, que Pline appelle son amertume, & qui corrompt
corniches Doriques, dans lesquels on fait des foudres & on
toutes les couleurs qui sont faites avec les plantes, & une
met dix huit gouttes arangées trois à trois.
faites avec les mineraux:
grande partie de celles qui sont
ensorte qu'il ne reste presque que les terres qui puissent
9. LA PETITE TRUELLE. Rutrum est dit ab eruendo,
C'est la petite truelle avec laquelle on travaille au Stuc.
conserver leur couleur, & la deffendre de la brûlure de la
10. AVANT QU'IL SOIT SEC. Ce que Vitruve dit udo
chaux; mais ces mesmes terres affoiblissent la force de la
tectorio, les Italiens disent à fresco, c'est-à dire le mortier
chaux & rendent la superficie des enduits moins dure.
estant fraischement appliqué. Cette maniere de peindre sur
II. DU MELANGE DE LUN ETDE L'AUTRE. Il a
se mortier avant qu'il soit sec, outre l'avantage que Vitruve
fallu un peu paraphraser cet endroit qui est embrouillé pour
luy attribue de conserver eternellement les couleurs qui luy
en tirer quelque sens.
sont incorporées, & celuy dont Vitruve ne parle point & qui
12. DES PIECES D'ABAQUES. Il a déja esté dit cy-de
la fait principalement estimer par les Peintres, qui est de
vant, scavoir au chapitre troisiéme du troisiéme livre,
rendre la peinture vive sans estre luisante, est encore i
les anciens appelloient Abaques de petites tables quar
commandable en ce qu'elle empesche que les couleurs quo
& polies, sur lesquelles ils traçoient des figures. Nous nous
l'on applique ne se sechent trop tost: car cela donne bien de
servons d'Ardoises pour cela, à cause que ces pierres se fen-
la peine dans toutes les autres manieres de Peinture à de-
dent naturellement en lames minces, solides & faciles à po¬
trempe, dans lesquelles les couleurs changent tellement en
lir, & qu'elles ont cette proprieté qu'estant d'un bleu fort
sechant, que ce qui est brun estant fraichement appliqué
obscur, les lignes que l'on y trace aisément avec une point
devient fort clair en sechant: Ce qui fait qu'il est tres¬
paroissent blanches & s'effacent avec la mesme facilité en
difficile de sçavoir bien precisement ce que l'on fait, & que
mouillant. J'ay interpreté ailleurs Abacum par le mot de
l'on est obligé en travaillant d'essayer les couleurs en le-
Tailloir; mais c'est quand Abacus signifie la partie qui cou¬
couchant sur des tuyles qui les sechent en un moment, &
vre les chapiteaux, parce que ce mot de tailloir est en usage