VITRUVE
CHAF. IV., surface de l'eau; au lieu que les cercles qui sont faits par la voix vont toujours en s'éten¬A
dant non seulement en largeur, mais mesme en profondeur, montant comme par de¬
grez; en sorte que si rien n arreste le cours du premier cercle, le second, ny ceux qui sui¬
vent ne sont point troublez, de maniere que la voix arrive distinctement & sans confu¬
sion aux oreilles de ceux qui sont assis en haut, aussi bien que de ceux qui sont en bas.
C'est pourquoy les anciens Architectes ayant examiné la nature de la voix, & consi¬
derant comme elle s'éleve en l'air par degrez, ont reglé au juste l'élevation que les de¬
grez du Theatre doivent avoir; & suivant 4 la proportion Canonique des Mathemati¬
ciens, & la proportion Musicale, ils ont tasche de faire que tout ce qui seroit prononcè
dans la Scene fust entendu clairement & aisément de tous les Spectateurs. Car comme
les Anciens ont mesuré les instrumens de Musique, & ont marque sur des lames de cuivre
ou de corne, les intervalles des Dieses, afin que les sons que rendroient les cordes, fus-p
sent justes; ainsi par le moyen de la science Harmonique, ils ont etably certaines propor¬
tions pour aider a faire entendre la voix dans les Theatres.
harpes & de nos clavessins: ou si on peut croire qu'ils er
les qui se font par un mouvement moins prompt, telles
touchoient quelques-unes, ce n'estoit que pour passer du
que sont celles que le vent peut exciter, n'empeschent
Tetracorde Synemmenon au Diezeugmenon, ainsi qu'il est
point l'effet des agitations precipitées qui produisent le
expliqué sur le chapitre suivant; ou pour varier les gen-
son, ainsi qu'il a esté dit; mais mesme une agitation pre¬
res, & non pas les modulations dans chaque genre, ainsi
cipitée ne s'oppose point à une autre, & ne cause point de
que nous faisons lorsqu'ayant accordé les cordes d'un in-
confusion. Or la principale raison de cela est que le son n
strument à la Quinte, ou à la Quarte, ou à la Tierce, on
se communique point par des ondes comme l'agitation d
touche la plus basse en un, en deux, ou en trois endroits
l'eau; parce que pour faire des ondes il faut du vuide (or
pour luy donner les tons qui sont au milieu, & entre les
peut appeller ainsi l'air qui est sur la surface de l'eau:) mais
extremitez de la Quinte, de la Quarte, ou de la Tierce. De
le son ne se fait qu'à cause que l'air remplit tout, estant
te que si les Anciens avoient des touches sur le manche
serré contre tous les corps, & tellement entassé, qu'il est
leurs instrumens, ce ne pouvoit estre que pour faire
impossible que les impulsions qu'il souffre, soient vaines &
que l'instrument estant accordé se¬
sans effet, si ce n'est en les eludant lorsque le mouvement
A B C D lon un genre, on pust en touchant
qui fait l'impulsion n'est pas assez viste, ainsi qu'il a estè ex¬
les deux cordes qui sont au milieu de
pliqué.
4
chaque Tetracorde, leur donner les
Il y auroit encore bien des choses à dire sur la compressi¬
tensions qui sont requises pour les au¬
bilité dont l'air est capable, laquelle ne se rencontre point
tres genres. Car supposé que les qua-
dans l'eau, & qui sert beaucoup à expliquer les raisons de
tre cordes A, B, C, D, soient accor¬
tous les Phenomenes du son & de la voix: mais ces remar¬
dées Enarmoniquement; lorsqu'on tou-
ques sur la nature du son ne sont que trop longues, quo
chera les cordes du milieu B & C aux
qu'à la verité elles auroient peut-estre esté moins obscures si
endroits E & G, le Tetracorde sera
elles n'estoient point si courtes. J'ay fait un ample traitem sur
Chromatique: & si on les touche aux en¬
ce sujet qui fait tout le second Volume de mes essais de
droits EH, il sera Diatonique. On peut
Physique.
expliquer de cette façon les endroits
9. LA PROPORTION CANONIQUE. Il a déj¬
qui se trouvent dans les anciens, où il
esté parlé de cette canonique sur le premier chapitre du pre¬
semble qu'ils ont en quelque façon ex¬
mier Livre, où il a esté dit que c'est la proportion de la me¬
primé la maniere dont nous touchons avec la gauche les 2
sure de tous les tons qui se prend avec le compas, & qui est
cordes des instrumens de Musique, ainsi qu'il se voit dans ces
opposée à celle qui se juge par l'oreille. Mais ce que Vitru¬
vers de Properce.
ve dit icy des lames de cuivre ou de corne sur lesquelles on
marquoit les intervalles des Dieses, sembleroit faire en-
Tale facis carmen docta testitudine, quale
tendre que ces lames estoient pour mettre sur le manche des
Cynthius impositis temperat articulis.
instrumens, & pour y placer les touches, en sorte que ce
la pourroit faire croire que les Anciens touchoient les cor¬
Quelques uns estiment que ces lames de cuivre ou de
des avec les doits de la main gauche, comme nous faisons
corne estoient pour l'instrument appellé Monocorde sur le¬
aux luts & aux violes. Mais on ne voit point d'ailleurs que
quel on fait les divisions, d'où se prennent les proportions
les Anciens en usassent de cette sorte, parce que les cordes
des tons & autres intervalles. Ce qui me semble plus vray¬
de leurs instrumens ne sonnoient ordinairement qu'à vui¬
semblable.
de, & n'avoient qu'un son particulier comme celles de nos
TRE IV.
CHAPI
De la Musique Harmonique selon la doctrine d'Aristoxene.
A Musique Harmonique est une science obscure & difficile principalement à ceux
Aqui ne seavent pas la langue grecque. Cependant nous ne pouvons pas icy expli¬
quer ce qu'il est necessaire d'en scavoir, sans nous servir de quantité de mots grecs, par¬
ce qu'il y a beaucoup de choses pour lesquelles nostre langue n'a point de termes signifi¬
mique, de la Metrique, de l'Organique, de la Poëtique &
I. DE LA MuSIQUE HARMONIQUE. Je suis la
de l'Hypocritique, qui contiennent les preceptes de la Dan¬
correction de Meibomius, qui met harmonise au lieu de har¬
se, de la Recitation, du Jeu des Instrumens, des Vers, &
monia dansle titre, parce que Vitruve traite icy de la Mu¬
sique Harmonique seulement, qui est differente de laRhyth¬ des Gestes des Pantomimes, de mesme que l'Harmonique