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chacune pour la production de leurs fruits un sucqui tintde la nâture de la terre,
les mêmes fruits auraient le même goût dans tous les pays. Cependant on sait que
le vin nommé Protyron (16) croît dans l'ile de Lesbos, celui qui est appeléCatake-
kaumenos dans la Moonie; le Méliton en Lydie, te Mamertin en Sicile, le Fa-
lerne en la terre de Labour, le Cocube à Terracine et à Fundi, et que tous les
vins que l'on recueille en divers lieux sont tous d'une nature différente. Or cela
peut s'expliquer ainsi : c'est l'humeur renfermée dans la terre qui commu-
nique sa propriété aux racines des arbres (17) qui la reçoivent pour la faire
passer dans le bois qui la portejusqu'au sommet des branches, où elle donne
aux fruits un goût qui varie suivant la qualité particulière de la terre. Si
l'intérieur de la terre était partout rempli des mêmes sucs, la Syrie et l'Arabie
ne seraient pas les seules qui produisent les roseaux, les joncs et une foule
d'herbes odoriférantes; elles ne produiraient pas non plus les arbres d'où s'écoûle
l'encens, ni ceux qui portent le poivre, ou qui donnent la myrrhe; ensin le
pays Cyrénaïque ne serait pas le seul qui donne naissance à la plante ferrulacée
du Laser; mais dans tous les pays on verrait indifféremment croître toute
espèce de végétation.
Or cette variété que l'on remarque dans la qualité du sol des différents pays
provient de l'inclinaison du globe ; c'est-à-dire que chaque climat éprouve plus
ou moins de chaleur, suivant qu'il s'approche ou s'éloigne de la ligne où le
soleil effectue son cours; et cela influe non seulement sur les sucs nourriciers
de la terre, mais encore sur les animaux. Il est bien certain que cette diversité
(16) La plupart des exemplaires ont Protyron, que
Philander et Barbaro corrigent pour mettre Protropon,
qui signifie la mère goutte ; mais j'ai cru qu'il était
plus à propos de laisser Profyron, parce que Vitruve
apporte cet exemple pour prouver que les différents
lieux donnent des goûts d'fférents aux fruits de la
terre ; et la différence du goût qui se trouve entre les
vins de mère-goutte et ceux de pressurage ne fait rien
à l'intention de Vitruve : car il s'agit d'apporter des
exemples des vins dont le nom soit pris du lieu où ils
croissent, et non pas d'aucune autre qualité qu'ils
puissent avoir d'ailleurs. De sorte que la raison qu'il
pourrait y avoir de mettre Protropon au lieu de Pro¬
fyron ne devrait point être, à mon avis, à cause que
Piotropon signifie la mère-goutte, mais parce que c'est
le nom d'un peuple, selon Pline, qui dit que les Abel¬
VITRUVE,
linates, peuples de la Pouille, sont appelés Protropi,
mais cette raison ne peut être reçue, parce que le vin
dont il s'agit est de l'ile de Lesbos. Quoi qu'il en soit,
il n'y a aucun inconvénient que du temps de Vitruve
il y ait eu un vin appelé Potyron à cause du lieu où
il croissait, et qu'il ne nous soit point resté d'Listo¬
riens ni de géographes qui fassent mention de ce lieu.
(17) Il y a dans tous les exemplaires terrenus hu
mor saporum un radicibus infusus; mais le sens demande
arborum in radicibus, comme j'ai corrigé ; car bien
que le mot de arborum ne soit pas tout-à-fait néces¬
saire, humor infusus radicibus rendant le sens asse¬
entier, il est encore plus certain que le mot saporum
aurait été tout-à-fait superflu, étant répété à la fin de
la période, où il est dit que humor terrenus profundit
loci et generis sui fructus saporem.