UI LIVREI, CHAP. I
jamais la peine que leur ville avoit méritée. Les architectes de ce temps-là, imaginèrent
de placer ces sortes de statues, au lieu de colonnes, dans les édifices publics, afin de
transmettre à la postérité un exemple éternel de la punition qu'on avoit fait souffrir
aux Cariates. Les Lacédémoniens en usèrent de même lorsque, sous la conduite de Pau-
sanias, fils de Cléombrote, ils défirent, avec peu de monde, la nombreuse armée des
Perses à la bataille de Platée. Après avoir fait servir les captifs à la pompe de leur triom
phe, pour laisser aux générations futures un monument qui attestât leur courage et leur
victoire, ils bâtirent, du produit des riches dépouilles de l'ennemi, une galerie qu'ils
appelèrent persique. Ils y placèrent des statues vêtues, comme l'étoient ces barbares
pour en soutenir la voûte, (1) afin de punir cette nation par un opprobre que son
orgueil avoit mérité. Ils rendirent ainsi la valeur lacédémonienne redoutable aux en-
nemis, et excitèrent les peuples à la défense de la liberté, par l'exemple de leurs con-
citoyens. Depuis, à l'imitation des Lacédémoniens, plusieurs architectes firent sou-
tenir les architraves et les entablemens sur des statues persiques, et enrichirent leurs
ouvrages de semblables inventions. Il existe plusieurs histoires de ce genre qu'il faut
qu'un architecte connoisse.
La philosophie élève l'ame de l'architecte ; sans lui inspirer de l'arrogance, elle le
rend équitable et fidèle, et ce qui est plus essentiel encore, absolument désintéressé.
Car pour réussir dans ses entreprises, la probité et l'honneur seuls doivent le diriger
Qu'il ne soit donc pas avide de gain, et qu'il songe moins à s enrichir qu'à acqué-
rir de la réputation par son art, ne faisant jamais rien d'indigne d'une profession
si honorable. C'est ce que lui prescrit la philosophie. Il est une autre branche de la
philosophie, qui apprend à connoître la nature. Les Grecs la nomment physiologie.
Il est très essentiel qu'il l'étudie pour comprendre les effets de la nature, qui sont
variés à l'infini. Par exemple, s'il veut conduire, par différens détours, les eaux d'un
lieu à un autre sur un plan horisontal; ou que pressées par leur propre poids, il
veuille les faire jaillir, quelle qu'en soit la cause, il s engendre une quantité d'air dans
les tuyaux, inconvénient auquel il ne pourroit remédier, s'il ne connoissoit pas, par la
philosophie, les principes des choses qui sont dans la nature. Sans le secours de la
philosophie , comment pourroit-on saisir le vrai sens des ouvrages de Clésibius,
d'Archimède, et de tous ceux qui ont écrit sur de pareils sujets? Quant à la musique, il
doit la savoir parfaitement, pour connoître les règles des proportions mathématiques
de la résonnance (2) : et pour tendre, comme il faut, les Balistes , Catapultes et Scor¬
() Pausanias Liv, III, Ch. 9 , parle de ce portique (2) Voyez ci-après Liv. V, Ch. 3; et Aulugelle, Nuits
comme du plus bel édifice qui fût sur la place de attiques Liv. XVI, Ch. 18.
Sparte.