L'ARCHITECTURE DE VITRUVE.
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Il paroit d'après ce qu'ajoute Vitruve, qu'on s'avançoit peu à peu dans la mer; sans doute en
Y jelant de pouvelles masses. In aquam poterit esse progressus. Et l'on voit que les anciens ne
faisoient pas leurs jetées, comme nous les faisons aujourd'hui, en jetant dans la mer des gros quai
tiers de pierres les uns sur les autres; ils n'avoient pas remarqué sans doute, comme les moules et
les huitres en s'attachant aux pierres roulées sur le rivage, les attachent et les lient les unes aur
autres ; ce qui en fait des masses d'une solidité inébraplable, supérieure peut-être à celle des rochers
produits par la nature.
Les anciens employoient le troisième moyen indiqué par Vitruve, lorsqu’ils ne pouvoient se pro¬
curer de la pouzolane ; les autres matériaux n'ayant pas, comme elle, la propriété de se séchei
dans l'eau, on fabriquoit, des batardeaux ou digues qui entouroient l’espace dans lequel on voulon
élever le mole ; ils étoient composés d'un double rang de pieus et d'ais; on en remplsoit ensuite
l'intervalle avec des paquets d’argile ou terre grasse enveloppée dans des sacs ou cabas faits de jonc¬
de marais. Ces joncs entrelacés empéchoient l'argile, qui étoit dedans, de se disoudre trop vite
dans Feau. On avoit parla le temps nécesaire pour batre et pétrir ces paquets, après que les ba
lardeaux en étoient remplis : ce qui étoit nécessire non seulement pour résistér aux vagues et au
courant ; mais encore pour empêcher les eaux extérieures d'entrer dans F'enceinte, tandis qu'on
épnisoit celle qui étoit dedans avec les machines hidrauliques. Quand l'eau étoit entièrement épuisée,
on consiruisoit, dans cette enceinte, le mole à sec, comme on F'auroit fait sur la terre.
Le mot merones que Vitruve emploie ici, en parlant de l'argle qu'il faut jeter entre les deu¬
rangs de pieun, a beaucoup embarasé les interprétes; voici comme il s'esprine i inter destindtas
creta meronibus ex ulea palustri factis caletur : quelqués-uns, au heu de meronibus, out lu
peronbus, d'autres beronibus ; mas la vérichble significaion de ce mot est tes-incertine ; Cest
le seus seulement qui indique qu'il doit signifer des sacs ou choses semblables.
L'ai donc suivi le sentiment des meilleurs interprêètes, et j'ai traduit comme eux ces expressions
meronibus ex ulva palustri, par des sacs faits de jones de marais. Ce jonc ou plante de maran
que les anciens appellent ulva, est demeurée inconnue aux botanistes ; Virgile en parle dans les 1l.
et le VI: lvre de l'Enéide, comme d'une plante aquatique. Ce doit être cetle espèce de joncs
très-communs dans les marais, dont on se sert en Italie, pour rempaller les chaises, et metre
autour des bouteilles ; il s'appelle en italien sala ; c'est le mot dont Caliani, se sert dans sa tra
duction pour rendre celui d'ulva. M. Delille le traduit comme nous par jones de maras,
LIVRE VI.