LIVRE III, CHAP. III.
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Une succession de sons ordonnés de manière qu'ils produisent des accords qui contrastent avec
d'autres et font néanmoins une suite de consonnances réglées par la mesure , forme un ensemble
agréable qui plaît à l'oreille. L'agréable accord des couleurs et l'agréable accord des formes pro¬
duit le même effet sur la vue. La combinaison des différentes formes produit l'harmonie de l'archi¬
tecture , comme la combinaison des différens sons produit celle de la musique. J'applique ceci seu¬
lement à la base attique, et à ses diverses moulures. Il existe deux sortes de moulures, les car¬
rées et les rondes : les premières ont par elles-mêmes quelque chose de dur et de sec; les secondes
ont beaucoup de douceur et de grace. Lorsque ces moulures se trouvent assorties, mélangées avec
goût, il en résulte beaucoup d'agrément. Les moulures rondes sont en architecture ce que sont en
harmonie les accords consonnans, et les moulures carrées répondent aux accords dissonnans. Le mé¬
lange des uns et des autres a le même objet, et doit suivre les mêmes règles. L'aigreur des dis
sonnances est un artifice qu'un sage compositeur doit employer, afin d'augmenter, par le contraste,
l'impression délicieuse de l'accord consonnant. Une musique deviendroit fade et insipide si, de
temps en temps, la dissonnance ne s'y faisoit pas sentir ; elle écorcheroit les oreilles si la disson¬
nance y étoit prodiguée ; de-là la règle de n'employer aucune dissonnance qui ne soit préparée
et sauvée par un accord consonnant.
Appliquons ceci à l'architecture dont les ornemens ont une harmonie qui leur est propre : les
moulures rondes en font toute la douceur, et les moulures carrées la dureté. Afin donc de rendre
cette harmonie parfaite, il faut que la dureté des moulures carrées interrompe de temps en temps
la mollesse des moulures rondes qui pourroit dégénérer en fadeur; mais il est plus essentiel encore
que la mollesse de celles-ci viennent toujours corriger la dureté de celles-là Alors l'ouvrage n'aura
rien de sec, et l'ensemble sera un enchantement pour les yeux.
C'est ce que nous offrent les moulures de la base attique ; la moulure ronde du tore d'en-bas
contraste avec le socle ou plinthe qui présente une moulure carrée d'un autre côté, dans sa po
sition horizontale. La forme circulaire de cette base contraste encore avec la forme carrée du
même socle ; les deux tores sont séparés de la scotie par les deux listels carrés, et le tore d'en¬
haut, contraste avec le listel du bas de la colonne.
Ce ne sont pas là les seuls rapports de la base attique avec l'harmonie. L'harmonie naturelle est
composée de trois sons différens qui forment entr'eux l'accord le plus parfait qu'on puisse entendre
d'où on l'appelle, par excellence , accord parfait. Ainsi pour rendre complette l'harmonie, il faut
que chaque accord soit au moins composé de trois sons. Aussi les musiciens trouvent-ils dans le
trio, la perfection harmonique. D'après ces principes, la base attique contient trois parties ou trois
moulures principales : les deux tores de la scotie , le tore d'en-bas forme un accord avec celui
d'en-haut ; ce dernier est un tiers moins gros que l'autre ; sa proportion avec le premier est comme
celle de 2 à 3 qui est précisément celle de la quinte , la première des consonnances admises par
les Grecs.
La concavité de la scotie contraste avec la connexité des tores, et la mollesse de ces moulures
rondes est adroitement interrompue par les carrés des listels ; néanmoins avec la scotie, ils servent
de liaison aux deux tores ; c'est ainsi qu'on passe d'un accord à un autre par des dissonnances ou
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