LI VRE VII.
A Autrefois en la ville de Tralles dans un petit Theatre, qui est appellé parmy eux EcCHAP. V
clesiasterium, Apaturius Alabandin peignit une Scene, dans laquelle il representa au lieu
ieu d'Assem-
de colonnes, des statués de Centaures qui soûtenoient les Architraves, des Toits en
* rond, des Domes, des Frontons avec de grandes saillies, des Corniches avec des
testes de lion, qui sont toutes choses qui appartiennent à un toit. Cependant sur tout
* cela il peignit encore ii un second ordre, où il y avoit d'autres Domes, des Porches, des Episcenim,
Faistes que l'on ne voyoit qu'à demy, & toutes les autres choses qui sont aux toits des
Edifices. Tout l'aspect de cette Scene paroissoit fort beau, à cause que le Peintre y avoit
si bien ménagé les differentes teintes, qu'il sembloit que cette Architecture eust en effet
* toutes ses saillies; & on estoit prest de luy donner une grande approbation, quand le
Mathematicien Licinius se presenta, & dit, qu'à la verité les Alabandins estoient estimez
B fort grands politiques, mais qu'une petite indecence avoit fait grand tort à l'opinion quę
l'on avoit de leur jugement, en ce que les Statuës qui sont dans le lieu de leurs exercices
representent des Avocats qui plaident des causes, & que celles qui sont dans l'Auditoire
sont de personnes qui s'exercent à la course, & qui jouent au palet & à la paume. Que cette
faute d'avoir ainsi mis les choses hors de leur place, avoit fait tort à la reputation de toute
la ville. C'est pourquoy prenons-garde, dit-il, que la Peinture d'Apaturius ne nous fasse
passer33 pour Alabandins, ou pour Abderitains: car qui est-ce qui a jamais veu que des
maisons & des colonnes soient posées sur les toits & sur les tuiles d'autres maisons? Ne
sçait-on pas que ces choses se mettent sur les planchers, & non pas sur les toits? Et ne
voyez-vous pas que si nous approuvons une peinture qui represente une chose qui ne peut
estre, nostre ville est en danger d'estre mise au nombre de celles dont les habitans, pour
C'avoir commis de semblables fautes, ont esté reputez manquer tout à-fait d'esprit & de
jugement. Apaturius n'ayant rien à répondre à cela, fit oster son tableau, & y changea &
corrigea ce qui estoit contre la verité & cont re la raison.
Nous aurions grand besoin que Licinius pûst ressusciter pour nous reprendre d'un pa¬
reil abus, & abolir les erreurs qui se sont introduites dans la Peinture: mais il ne sera pas
hors de propos de dire icy d'ou vient que cette fausse manière de peindre l'a emporté sur
la bonne. La raison de cela est, à mon avis, que la beauté & le prix de la Peinture, que les
10. DES FRONTONS. Vitruve apporte icy plusieurs
de autorité dans l'Architecture.
exemples de choses qui de son temps passoient pour ridicu¬
II. UN SECOND ORDRE. Episcenium; ainsi qu'il a
ses en Architecture: cependant il y en a quelques-unes que
déja esté dit , estoit le second ou le troisième ordre que l'on
l'usage & peut-estre la raison n'ont pas laissé d'autoriser de
faisoit aux Scenes quand elles estoient fort grande
puis. Il condamne entr'autres choses la maniere de mettre
2. TOUTES SES SAILLIES. La manière de parler est
des Frontons aux premiers étages, ces Frontons n'estant
range, mais assez significative. Il est dit que la Peinture
point la face du toit de l'Edifice; on en voit neanmoins dans
d'Apaturius estoit agreable à cause de son aspreté & inéga-
des Ouvrages approuvez. Les Chapelles du dedans du Pan-
lité propter asperitatem. C'est-à dire que les reliefs & les en
theon ont des frontons de cette espece: car ils ne couyren
foncemens y estoient si bien representez, que la toile du ta¬
que l'entablement qui porte sur deux colonnes: Et l'on peut
bleau sembloit n'estre pas égale & platte comme elle l'estoit
dire que cela n'est pas tout-à-fait sans raison, puisque c'es
en effet.
suivant le principe general que Vitruve reconnoist estre dans
13. POUR ALABANDINS OU POUR ABDERI¬
l'Architecture, qui est de faire consister ses ornemens dans
TAINS. Ces deux peuples estoient decriez parmy les Grecs
l'Imitation de la Figure, sans qu'il soit necessaire que les
à cause de leur stupidité. C'est pourquoy il faut entendre
autres proprietez de la chole dont l'imitation a esté prise, s'
que c'est par raillerie que Licinius dit que les Alabandin
rencontrent: Par exemple on fait des modillons des quatre
passent pour grands politiques. Il est à remarquer que la
costez d'un Edifice, dont la couverture n'est point en croupe,
reputation que les Alabandins avoient de manquer d'esi
bien qu'il soit impossible que les bouts des pannes des for¬
jugement ne se trouve fondée que sur des choses
ces ou des chevrons, qui sont representez par les modillons
nantes à l'Architecture; & que cependant il est vray
sortent des quatre costez d'une mesme maniere, ainsi q
que le plus celebre des anciens Architectes Hermogens
E font les modillons; on fait les triglyphes qui represente
estoit Alabandain: Et que tout de mesme aussi les Abderi¬
les bouts des poutres, aussi étroits sur les colonnes angu-
tains passoient pour peu éclairez à cause qu'ils avoient cru
laires que sur celles du milieu, bien que les poutres soient
qu'un de leurs citoyens avoit perdu l'esprit, sur ce qu'ils
beaucoup plus larges en cet endroit qu'autre part, on me¬
voyoient qu'il s'occupoit à dissequer toutes sortes d'ani-
des testes de lyon dans les corniches au droit des entreco-
maux; & que cet Abderitain estoir Democrite, estimé le
lonnemens, quoyqu'elles ne doivent point servir à jet
plus bel esprit de l'antiquité. Mais comme il y a beaucou
l'eau en cet endroit. Ainsi lorsque l'on couvre une poi
pparence que les Alabandins & les Abderitains avoier
avec un entablement soûtenu par des colonnes qui sont au¬
iné des marques de leur peu de suffisance sur d'autres su¬
costez de la porte, on y met aussi un Fronton quoy qu'il n'
jets, que sur ceux qui appartiennent aux sciences & aux
Arts, il paroist par ces exemples que les Grecs se faisoient
ait point de toit en cet endroit; Mais on le fait à cause qu
ces colonnes qui sont aux costez de la porte, estant l'imita¬
principalement honneur des choses de cette nature,
qu'ils excellassent autant qu'aucunes desfnations, da
tion du porche d'un Temple, on imite aussi par le Frontor
le devant du toit qui couvre la porte & le reste du Temple
moralle; dans la politique & dans les autres productions
de l'esprit.
& tout cela en vertu de l'imitation qui est une chose de gran¬