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tout le suc que leurs racines tirent de la terre, ils reprennent leurs anciennes
forces, et sur cela le froid de l'hiver survenant, les resserre et les affermit. C'est
pour cette raison que le tems le plus propre pour couper les arbres est, ainsi
qu'il a été dit, depuis le commencement de l'automne jusqu'au printems. Quant
à la manière de les couper, il faut d'abord les cerner par le pied jusqu'à la
moitié du cour environ (1), et les laisser ainsi quelque tems, afin que l'humi-
dité inutile en sorte, et que, coulant par cette entaille au travers de l'au¬
bour (2), elle ne vienne point à se corrompre dans le bois et à le gâter aussi
(1) Le cœur, qui est la partie que l'aubour couvre,
est ce que Vitruve appelle médulla. Ce mot est équivo¬
que, parce qu'il signifie non seulement la partie la plus
solide du bois, laquelle est au milieu, mais aussi cette
partie tendre et mollasse qui se trouve au milieu des
premiers rejetons, et que possèdent les branches et les
troncs même de quelques arbres : tels que le sureau, le
figuier, la vigne. Pour ce qui est de cerner les arbres
par le pied, Pline dit seulement : ad medullam, et Pal¬
ladius : usque ad medullam ; mais Vitruve dit : usque ad
mediam medullam, pour faire entendre qu'il est plus
sur de couper un peu avant dans le cœur, afin que s'il
est passé quelque humidité de l'aubour dans les parties
du cœur qui lui sont voisines, elle s'épuise entièrement,
(2) L'AUBOUR. Le mot latin torulus, que j'ai expli¬
qué Aubour, est un mot particulier à Vitruve pour cela.
Dans Plaute, il signifie un petit chapeau. On peut aussi
dire qu'il signifie un petit matelas, peut-être à cause de
la mollesse de cette partie du bois : ce qui pourrait con¬
venif aussi au feutre d'un chapeau. Notre nom français
aubour est pris du mot latin dont Pline s'est servi, qui
appelle cette partie des arbres alburnum propter albedi¬
nem, parce qu'en effet l'aubour est plus blanc que le
reste du bois. Pline dit que c'est la graisse du bois qui
est immédiatement sous l'écorce, ainsi que la graisse
est sous la peau; et de même qu'elle est une partie
moins ferme que la chair, et qui se consume la pre¬
mière; aussi l'aubour est la partie du bois qui se carie
et qui se pourrit plus aisément. Mais s'il est permis, à
l'exemple de Pline, de rapporter les parties des plantes à
celles des animaux, j'aimerais mieux dire que dans quel¬
ques plantes l'aubour, ou ce qui tient lieu d'aubour
fait l'office des veines, et que l'office des artères es
rempli par l'écorce, qui reçoit la nourriture de la racine,
comme les artères reçoivent le sang du eœur, et qu'elles
le portent à toutes les parties de l'arbre ; que ce que
VITRUVE,
spen onnoliss
l'écorce contient est un peu plus parfait, mieux cuit et
destiné à la nourriture, et que le reste de cette nourri¬
ture est renvoyé à la racine par l'aubour, ou entre l'é¬
corce et le bois, ou même entre les fibres du bois, afin
d'être de nouveau cuit et perfectionné pour remontel
par l'écorce ; et ainsi, par une circulation continuelle
imiter celle qui se fait dans le corps des animaux. L'é¬
coulement de cette humeur aqueuse, qui arrive quand
on a cerné l'arbre jusqu'au cœur du bois, fait conce¬
voir de quelle manière se fait ce différent mouvement
de diverses liqueurs, qui est que la disposition des pores
et des fibres de l'aubour ou du cœur du bois est telle
qu'ils laissent aisément couler l'humeur en bas, et que
les fibres et les pores de l'écorce ont une disposition
contraire qui fait que, quoique ce cerne coupe l'écorce
aussi bien que l'aubour, il ne tombe néanmoins que
l'humeur aqueuse et crue ; de même qu'en l'amputation
d'un membre d'un animal, il ne découle qu'une espêce
de sang, savoir l'artériel : l'autre espèce étant retenue
et suspendue par les valvules qui sont dans les veines.
Cette matière est traitée plus amplement dans le premier
tome de mes Essais de Physique, où je tire de ce sys¬
tème de la nourriture des plantes un théorème et un
précepte assez important pour l'emploi des bois dans
les bâtiments, qui est de poser les pièces qui sont de¬
bout en une situation contraire à celles qu'elles ont na¬
turellement étant sur le pied; car par ce moyen on peut
empêcher que l'eau qui tombe dessus ne les gâte, comme
elle le ferait si le bois était en sa situation naturelle :
par la raison que les conduits qui sont dans les bois
disposés pour laisser couler l'humidité superflue vers la
racine, laissent pénétrer l'eau, qui est de même nature
que cette humidité superflue, ce qui n'arrive pas si fa-
cilement le bois étant renversé, parce qu'alors l'eau
ne rencontre que des conduits disposés à faire couler
l'humeur huileuse destinée à la nourriture de la plante,